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État-providence

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L'État-providence est une forme d'organisation sociale dans laquelle l'État prétend assurer directement ou indirectement le bien-être — social — des citoyens en jouant un rôle central de régulation de l'économie et de redistribution des richesses et des revenus, afin de réaliser des objectifs affichés de protection et « justice sociale ».

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Origine et sens de l'expression

L'expression d'État-providence a été forgée par Émile Ollivier, grand opposant libéral à l'Empire, qui exprimait son mépris pour la prétention de l'État à se prendre pour la providence divine :

«  Nous saisissons dans cette théorie exposée par Le Chapelier l'erreur fondamentale de la Révolution Française […] De là sont sortis les excès de la centralisation, l'extension démesurée des droits sociaux, les exagérations des réformateurs socialistes ; de là le procès de Babeuf, la conception de l’État-providence, le despotisme révolutionnaire sous toutes ses formes »
    — Émile Ollivier, dans son discours à l'Assemblée nationale du 27 avril 1864.

Selon Pierre Rosanvallon, le terme État-providence s'est éloigné de l'expression forgée par Émile Ollivier pour prendre un sens beaucoup moins péjoratif, comme c'est également le cas pour l'État régalien et la notion de travail.

L'épithète de « providence » se trouve déjà chez Tocqueville :

«  Le gouvernement ayant pris la place de la providence, il est naturel que chacun l'invoque dans ses nécessités particulières. On lui reproche jusqu’à l’intempérie des saisons. »
    — Alexis de Tocqueville, L'Ancien Régime et la Révolution, 1856

Traduction du terme d'État-providence dans d'autres langues :

  • anglais : welfare state, terme popularisé durant la Seconde guerre mondiale (par opposition au "warfare state" de l'Allemagne nazie) ;
  • allemand : Sozialstaat ("État social"), terme utilisé depuis 1870 pour décrire les programmes sociaux mis en place avec les réformes de Bismarck ; sous l'influence du terme anglo-saxon de welfare state, on emploie aussi l'expression Wohlfahrtsstaat ;
  • italien : stato sociale ("État social")
  • russe : социальное государство ("État social")
  • espagnol : estado del bienestar (État du bien-être)
  • chinois : 福利國家 (État de bien-être)
  • japonais : 福祉国家論 (État de bien-être)
  • portugais : estado de bem-estar social, estado-providência ;
  • suédois : Folkhemmet ("maison du peuple"), depuis le compromis de 1936 entre syndicats et grandes entreprises.

On notera que le français est un des rares langues à parler de « providence », les autres langues évoquant soit le bien-être, soit l'aspect "social".

Au sens strict, la notion d’État-providence signifie la monopolisation par l’État des fonctions de « solidarité » sociale[1]. Dans les démocraties libérales occidentales, l’État-providence n'a pas pu avoir de monopole des fonctions de solidarité sociale puisque les associations, les familles, et plus globalement la société civile y participent quotidiennement. C'est pourquoi il existe des degrés très variables d'étatisation de la solidarité (selon que le régime politique est conservateur, social-démocrate ou libéral).

Au sens large, l'État-providence englobe la protection sociale et l'éducation nationale[2].

Historique de l’État-providence et de la protection sociale

La protection sociale par divers organismes n'a pas attendu l'État-providence contemporain. Celui-ci trouve des racines dans les structures politiques et sociales de l'histoire, généralement dans des organismes privés. Dans les sociétés médiévales, c'est l'Église qui jouait un rôle important dans la fourniture d'assistance aux nécessiteux. À partir de la Renaissance, les monarchies absolues en Europe étendent leur autorité aux différents aspects de la vie des populations et créent des orphelinats, hôpitaux ou maisons de retraite pour les pauvres et infirmes. Ces mesures restent très limitées et dépendaient largement de la charité privée et de la générosité des souverains. Ce sont largement des donateurs privés qui financent par dons et legs la création d'établissements pour venir en aide aux nécessiteux, ou des confréries comme les Charitons.

Ce n'est qu'au XIXe siècle que les premiers systèmes d'assurances maladie et vieillesse organisés apparaissent avec le Sozialstaat de Bismarck, dès 1883, en Allemagne. Il vise alors au premier chef à éviter la propagation des idées plus radicales en améliorant le quotidien des plus pauvres : offrir du confort aux ouvriers et employés pour décourager la révolution pour les employés et son hypothétique mieux-être. Mais même au XIXe siècle, c'est essentiellement le secteur privé qui organise cette protection sociale, loin d'être inexistante : sociétés de secours mutuel, etc. C'est Frédéric Bastiat, éminent représentant du libéralisme français, qui en fut l'un des plus ardents défenseurs, en parlant comme d'une « institution admirable, née des entrailles de l'humanité avant le nom même de socialisme »[3]. En France, de nombreux systèmes de retraite par capitalisation se mettent spontanément en place au XIXe siècle au sein de certaines professions ou métiers

Au XXe siècle, pour asseoir leur pouvoir sur les populations, certaines dictatures, telles que le fascisme en Italie et le nazisme en Allemagne, ont exploité l'idée de l'État-providence pour renforcer leur contrôle sur la population en offrant des programmes sociaux limités, tout en renforçant leur autorité politique. En France, c'est le maréchal Pétain qui fait avancer l’État-providence en spoliant les bénéficiaires de la retraite par capitalisation instaurée au début du XXe siècle (Jean Jaurès défendait ainsi par exemple la retraite par capitalisation dans les colonnes de L'Humanité en 1909[4]).

Dans les démocraties occidentales, l'après-guerre a vu l'émergence de l'État-providence moderne, caractérisé par des programmes sociaux étendus tels que l'assurance maladie, les retraites et l'aide sociale. Ces politiques étaient souvent mises en œuvre dans le cadre d'une volonté politique de reconstruire les sociétés dévastées par la guerre, et d'atténuer les souffrances sociales résultant de la Grande Dépression. Keynes, après la crise économique des années 1930, considère que seul l'État, par son intervention « est en mesure de rétablir les équilibres fondamentaux », et que l'État-providence donne au système économique une plus grande inertie. On le présente alors comme jouant un rôle d'« amortisseur des crises ». Social Insurance and Allied Services de Lord Beveridge fournit les bases de réflexion à l’instauration du Welfare State, un système universel, uniforme et unitaire. Beveridge deviendra le père du système de sécurité sociale en Europe occidentale.

En France, ce sont la CGT (déjà active dans les réformes de Pétain, à travers René Belin, l'un des principaux responsables de la CGT avant la Seconde Guerre mondiale et ministre du Travail de Pétain), et le Parti communiste qui en posent les bases, résultant en un système largement plus étatiste et socialisé que dans le reste du monde développé. Contrairement au système français, ces systèmes d’État-providence adoptés dans de nombreux pays reposent rarement sur un système intégralement public, et donnent une large part au secteur privé, ou à la retraite par capitalisation.

Point de vue libéral

Pour les libéraux, l'État-providence résulte de l'influence des idéologies collectivistes couplée à la présomption scientiste et constructiviste de pouvoir diriger la société dans l'intérêt de tous[5] :

« Un dieu nouveau va naître de l'union de la connaissance avec la force. L'union de la science et du gouvernement donnera naissance à un État-providence, qui sait tout et est assez fort pour tout faire. C'est ainsi que le rêve de Platon se trouvera enfin réalisé : la raison triomphera et le souverain sera rationnel. Les philosophes seront rois ; c'est-à-dire que les Premiers ministres et leurs Parlements, les dictateurs et leurs commissaires obéiront aux ingénieurs, aux biologistes et aux économistes qui organiseront tout. Les « experts » dirigeront les affaires de l'humanité, et les gouvernants les écouteront. L’État-providence de l'avenir possédera toute l'autorité du plus absolu des États du passé, mais il sera très différent ; les techniciens consacrés remplaceront les courtisans et les favorites des rois, et le gouvernement, armé d'un pouvoir irrésistible, disposera à son gré de l'humanité. »
    — Walter Lippmann

Depuis Tocqueville, les libéraux considèrent que l'État-providence chasse et remplace les solidarités primaires, isole les individus, développe l'assistanat, décourage les producteurs de richesse et nuit à la croissance. Les libéraux remettent en cause l’État-providence en critiquant la redistribution passive et bureaucratique, le coût exorbitant des politiques sociales (qui n'est jamais comparé aux bienfaits prétendument apportés), la progression continue du taux de prélèvements obligatoires, le manque de transparence et de gestion de l'État-providence. Ce dernier s'accompagne de l'apparition d'une nouvelle pauvreté (montée du chômage) et d'un taux de croissance faible.

L'historien David G. Green a montré comment en Angleterre, au XIXe siècle, les Friendly Societies aidaient les plus pauvres et comment l'État-providence a peu à peu évincé ces institutions. Cette transformation s'est faite, non pas au profit des classes laborieuses, mais au profit d'un groupe de pression politique, en l’occurrence le corps médical.

Pour les libertariens, l'État-providence est la plus vieille escroquerie du monde, pratiquée dans le passé par tous les dominants et tous les pouvoirs. Elle consiste seulement à prendre l'argent des gens, et à le leur rendre « généreusement » un peu sous forme de protection, comme peut le faire n'importe quel parrain de la mafia. Comme les ressources fiscales sont limitées et qu'on ne peut redistribuer aux gens plus qu'on ne leur prélève, l'État-providence finit par reposer principalement sur la dette publique jusqu'à ce que la faillite survienne. Seules l'illusion fiscale et la propagande étatique lui permettent de perdurer.

En réalité, la société perpétue ainsi une vieille tradition de paternalisme qui remonte au Moyen Âge, où le seigneur se devait de protéger ses serfs, et la bourgeoisie du XIXe siècle, imprégnée de cette notion de charité, a consacré la tradition. L'individu est considéré comme un assisté, incapable de se prendre en charge.

Welfare et warfare

Les libertariens (Ron Paul, Ralph Raico, etc.), jouant sur une homophonie des deux termes en anglais, rapprochent fréquemment les deux notions de welfare et de warfare : État-providence et État-guerrier. Tout se passe comme si l’État moderne et les hommes de l’État servaient deux clientèles différentes : les assistés (qui forment la majeure partie de leur électorat) et ce qu'on appelle aux États-Unis le lobby militaro-industriel, qui s'enrichit par les guerres menées à l'étranger. Ron Paul critique ce qu'il appelle le « keynésianisme militaire »[6] :

« Le keynésianisme militaire soutenu par les conservateurs et les progressistes conduit à dépenser l'argent du contribuable à hauteur de montants indécents, qui dépassent maintenant les dépenses militaires de toutes les autres nations réunies. Et les politiciens en sont très fiers. Ils peuvent se vanter de leur « conservatisme », alors qu'ils dépensent comme jamais auparavant. La menace qu'un pays envahisse les États-Unis est strictement nulle, et pourtant nous ne cessons de dépenser massivement en armement. La culture militaire a fait de notre pays le plus gros marchand d'armes au monde, et le plus gros de toute l'histoire. »

Citations

  • « Cet État se veut si bienveillant envers ses citoyens qu'il entend se substituer à eux dans l'organisation de leur propre vie. Ira-t-il jusqu'à les empêcher de vivre pour mieux les protéger d'eux-mêmes ? (...) Le plus grand soin d’un bon gouvernement devrait être d’habituer peu à peu les peuples à se passer de lui. » (Alexis de Tocqueville)
  • « La république américaine durera jusqu’au jour ou le Congrès découvrira qu’il peut corrompre le public avec l’argent du public. » (Alexis de Tocqueville)
  • « La démocratie cessera d'exister quand on prendra à ceux qui veulent travailler pour donner à ceux qui ne veulent pas. » (Thomas Jefferson)
  • « L'État-providence devient un foyer où un pouvoir paternaliste contrôle la plupart du revenu de la communauté et l'alloue aux individus dans la forme et les quantités qu'il juge appropriées. » (Friedrich Hayek, La Constitution de la liberté)
  • « Une première calamité étant créée par les hommes de l’État, ils en créent d’autres pour prétendument corriger la première tout en s’enrichissant eux-mêmes personnellement sur la chaîne sans fin des calamités. » (Michel de Poncins)
  • « Les États totalitaires détruisent la liberté individuelle en la supprimant purement et simplement, l'État se proposant d’administrer toute l’économie du pays. Les États providences agissent plus sournoisement, offrant au peuple une "sécurité sociale" en échange de sa liberté, substituant la responsabilité collective à la responsabilité individuelle. Dans le premier cas, les individus ne peuvent plus agir ; dans le second cas, les individus ne savent plus agir. » (Jean-Louis Caccomo)
  • « Le patron, dans le système capitaliste pur, ne fait que louer au salarié sa force de travail. Il ne se préoccupe de son état de santé ou de son moral que si c'est dans son intérêt. Dans l'État-providence, en revanche, le statut des employés et ouvriers est à bien des égards plus proche du statut d'esclaves que de celui des travailleurs libres des débuts de la révolution industrielle. » (Philippe Simonnot)
  • « L'État-providence est une pornographie de la générosité, car il nous force à accomplir les gestes, même si nous n'éprouvons pas le sentiment. Le capitaliste connaît la valeur de la générosité, car il connaît la valeur de la propriété. » (Christian Michel)
  • « Le Welfare State, tel qu'il fonctionne actuellement, n'est bien souvent qu'une vaste escroquerie. Il faut montrer aux citoyens que tout ce qu'on leur vend au nom de la solidarité nationale aboutit trop souvent à des résultats très différents des intentions affichées et coûte à la nation (et à un grand nombre de défavorisés) plus que cela ne lui rapporte. » (Henri Lepage, Demain le capitalisme, 1978)
  • « Une des plus tristes caractéristiques de notre temps est que nous avons diabolisé ceux qui produisent, subventionné ceux qui refusent de produire et canonisé ceux qui se plaignent. » (Thomas Sowell)
  • « L'État-providence moderne promeut une culture de victimisation, et encourage la mauvaise habitude de vouloir vivre aux dépens des autres. » (Daniel Model)
  • « L'État-providence est la plus vieille escroquerie au monde. Elle consiste à prendre votre argent le plus discrètement possible pour ensuite vous en rendre une fraction le plus visiblement possible. » (Thomas Sowell)
  • « Le paradis sur terre existe, et l'État-providence où coule le lait et le miel est son prophète ! » (Oskar Freysinger, Antifa, 2011)
  • « La différence entre un État-providence et un État totalitaire est une question de temps. » (Ayn Rand)
  • « La grande erreur de ce temps, c'est de croire que le gouvernement, quel qu'il soit, peut tout, et de le rendre responsable du sort de chacun, comme s'il pouvait donner plus qu'il ne reçoit, et faire plus pour tous les citoyens réunis que chaque citoyen pour lui-même. Ce préjugé déplorable est, au moment où nous parlons, le ver rongeur des populations ouvrières, le vrai fléau de notre pays. » (Adolphe Blanqui)
  • « Voilà trente ans déjà que cet État est en crise, et qu'il survit de rafistolage en rafistolage : de faux droits financés toujours plus par de la fausse monnaie. » (Philippe Simonnot)
  • « L’État n'est pas un Père Noël bienveillant. C'est un monstre égoïste et intrusif qui ne sera jamais satisfait et finira par étouffer l'indépendance et l'autonomie de ses sujets. Et ce monstre est soutenu par la démocratie : par l'idée que la vie de chaque être humain peut être contrôlée par la majorité. » (Dépasser la démocratie)
  • « Mon idée était de persuader - ou devrais-je dire de corrompre - la classe prolétarienne pour qu'elle voie en l'État une institution sociale érigée pour elle et veillant à son bien-être. » (O. von Bismarck, Gesammelte Werke 1924/1935, volume 9, pp. 195-196)
  • « L’État-providence, c'est quand on aime tant de parfaits étrangers qu'on veut bien que l'État vole de l'argent à d'autres parfaits étrangers pour aider les premiers. » (Faré)
  • « L’État-providence, c'est l'art de rendre les gens dépendants de l'Etat, avec leur propre argent. » (Pierre Bessard, Le Temps, 03/09/2019)
  • « L’État-providence ne lutte pas contre l’égoïsme, mais le favorise en devenant une source à exploiter. » (Jean-Philippe Delsol, L’Injustice fiscale ou l’abus de bien commun)
  • « Un coup de maquillage social, un coup d'éponge compassionnelle, un coup de savonnette écolo, un coup de shampoing avec plein de paillettes fiscales, on remue le tout dans un mixeur, et l'État-providence présente sa peinture cache-misères, à même d'éblouir les alouettes. » (Nicolas Lecaussin, Les donneurs de leçons, 2019)

Informations complémentaires

Notes et références

  1. François-Xavier Merrien, L’État-providence, P.U.F. 'Que sais-je ?', 2007, p. 11
  2. Marc Fumaroli, L’État culturel. Essai sur une religion moderne, Paris, De Fallois, 1993.
  3. Des salaires, Frédéric Bastiat
  4. Retraites par répartition en France : un héritage du maréchal Pétain
  5. La Cité libre, 1937
  6. Ron Paul, Liberty Defined, 2011

Bibliographie

  • 2004, J. Bartholomew, "The Welfare State We’re In", London: Politico’s
  • 2008,
    • C. Jetté, "Les organismes communautaires et la transformation de l’État-providence", Québec, Presses de l’Université du Québec
    • Michael Tanner, "Welfare state", In: Ronald Hamowy, dir., "The Encyclopedia of Libertarianism", Cato Institute - Sage Publications, pp540-542

Voir aussi

Liens externes


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