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William B. Greene

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William Batchelder Greene (1819-1878) fut un penseur américain, officier militaire, pasteur et réformateur social. Fils du journaliste Nathaniel Greene, il passa de West Point et Harvard Divinity School à la chaire unitarienne, avant de devenir colonel pendant la guerre de Sécession. Inspiré par Pierre-Joseph Proudhon, il développa le mutualisme bancaire, tout en militant pour l’abolition de l’esclavage, le suffrage féminin et les droits des travailleurs. Figure marquante de l’anarchisme individualiste, il laissa une œuvre mêlant économie, philosophie et action militante.

Biographie

William Batchelder Greene naît le 4 avril 1819 à Haverhill, dans le Massachusetts, fils de Nathaniel Greene, éditeur bostonien et fondateur du Boston Statesman. Formé à West Point, il sert dans la guerre de Floride contre les Séminoles[1] avant de quitter l’armée pour la Harvard Divinity School ; devenu unitarien, il s’établit à Brookfield (près de Worcester), où il écrit des tracts religieux et officie comme pasteur au milieu des années 1840 (1845–1850). Thomas Wentworth Higginson, qui l’avait côtoyé à la Divinity School, le décrit comme « remarquablement beau et impitoyablement opiniâtre », rappelant sa formation militaire et son engagement en Floride ["strikingly handsome and mercilessly opinionated ", Thomas Higginson, 1898, p.106]. Du côté de l'anarchisme individualiste, Benjamin Tucker souligne la force d’influence de Greene sur la question monétaire, ce que confirme la place que lui accordent les historiens des milieux réformateurs de Nouvelle-Angleterre.

La réception contemporaine de son œuvre économique est particulièrement nette dans Instead of a Book, Benjamin Tucker y affirme que « William B. Greene a résolu toute cette affaire et l’a résumée en deux mots : « La banque mutuelle » ; il renvoie ses contradicteurs à l’argumentation « d'un énoncé de la manière la plus élaborée et la plus concluante » dans la brochure Mutual Banking et loue un exposé « parfaitement simple et convaincant » des maux du monopole monétaire[2]. En parallèle, la littérature de l'histoire anarchiste a relevé l’usage polémique du label « Anarchistes de Boston  » pour distinguer l’individualisme de William Greene et de ses proches des courants collectivistes et communistes plus militants, et plus largement la condescendance avec laquelle furent souvent accueillies les solutions de monnaie libre à l’époque.

Son influence et sa postérité se lisent dans les sources de première et de seconde main : J. J. Martin[3] montre que Greene relève d’une radicalité monétaire américaine nourrie par la crise de 1837 (proche d’Edward Kellogg) plus que d’un simple proudhonisme, tout en reconnaissant l’empreinte durable du Mutualisme bancaire sur l’économie anarchiste. Sur le terrain, on repère une pétition de janvier 1850 au General Court du Massachusetts pour une banque mutuelle (signée notamment par Josiah Warren), puis des campagnes de 1850–1851 et une relance en 1857 lors d’une nouvelle panique. À partir de 1869, Greene joue un rôle moteur dans la New England Labor Reform League (président en 1872) et cosigne la Declaration of Sentiments ; il figure parmi les contributeurs annoncés de The Word (1872) d’Ezra Heywood. Il adhère brièvement à l’International Working People’s Association à Boston (1872–1873) et collabore à une allocution de principes lue à la convention de 1873, avant de prendre ses distances avec le communisme. Sur le plan doctrinal, Martin résume précisément sa proposition : gage réel, acceptation mutuelle des billets, intérêt limité aux frais, non-convertibilité en espèces, et possibilité d’adosser la monnaie à « tout ce qui peut être vendu à la criée », dans une perspective de décentralisation du crédit[4]. Après un retour en Europe, Greene meurt en 1878 à Weston (Angleterre) ; Mutual Banking continue d’être réimprimé et de structurer la finance anti-étatiste de la fin du XIXᵉ siècle, fondée sur la monétisation de toute richesse durable au-delà du seul métal précieux.

Contexte intellectuel et influences

L’itinéraire intellectuel de William B. Greene s’inscrit dans un climat marqué par les secousses économiques et sociales des années 1830-1840. La panique financière de 1837[5], qui provoqua des faillites bancaires et un chômage massif, suscita un foisonnement de projets de réforme monétaire. Dans ce contexte, nombre de penseurs et d’expérimentateurs américains s’intéressèrent aux questions du crédit et de l’échange équitable. Bien que Greene soit souvent présenté comme un simple relais des thèses de Pierre-Joseph Proudhon, les recherches de James J. Martin nuancent ce jugement. Selon lui, Greene « apparaît désormais davantage comme le produit du radicalisme monétaire né de la crise financière de 1837 » que comme un disciple orthodoxe du penseur français. Ses écrits, qui laissèrent une marque durable sur l’économie anarchiste américaine, se rapprochent davantage des analyses d’Edward Kellogg[6] et d’autres réformateurs américains de son temps que du « mutualisme » proudhonien. À bien des égards, conclut Martin, Greene fut plus critique que suiveur de Proudhon[7].

Les utopistes et les réformateurs sociaux, qu’ils soient héritiers de Robert Owen[8] ou de Charles Fourier[9], participèrent également à ce climat d’expérimentation. Greene évolua dans les cercles où circulaient les idées de Pierre Leroux[10] et d’Orestes Brownson[11], proches des débats religieux et sociaux de la Nouvelle-Angleterre. Sa proximité avec des figures comme William Henry Channing[12], membre du cercle transcendantaliste[13], le plaça au cœur de ce que l’on appelle l’American Renaissance, moment d’effervescence intellectuelle où littérature, religion et réforme sociale se mêlaient aux expérimentations communautaires (Brook Farm[14], Fruitlands[15]).

C’est aussi dans cette atmosphère que William Greene fit la découverte décisive de Pierre-Joseph Proudhon. Son ouvrage Qu’est-ce que la propriété ? (1840) avait circulé rapidement dans les milieux radicaux. Greene en tira des éléments essentiels pour sa propre pensée, notamment la critique du privilège et l’idée du mutualisme. Dans les années 1850, il séjourna en France, où il rencontra personnellement Proudhon, alors figure centrale du socialisme français. James J. Martin précise que Greene était « un ami personnel du célèbre anarchiste français » et que cette relation contribua à l’orientation de ses travaux sur la monnaie et la réforme sociale[16].

Parallèlement, William Greene cultivait une grande diversité d’intérêts intellectuels. Sous le pseudonyme d'Omega, il publia dans le Worcester Palladium de nombreux articles où il exposait ses premières réflexions sur la monnaie et la société. Ces textes annonçaient déjà la fusion caractéristique de son œuvre, où le religieux, le politique et l’économique s’entrecroisent.

Pensée économique et politique

La contribution majeure de William B. Greene à la pensée sociale du XIXᵉ siècle se situe dans son élaboration d’un projet de réforme monétaire radicale : le mutualisme bancaire. Conçu comme une alternative aux privilèges bancaires et à la domination du capital financier, ce système visait à instaurer une circulation monétaire équitable, libérée des monopoles légaux.

1. Le mutualisma bancaire

Dans son ouvrage Mutual Banking (1850), réédité et élargi en 1870, Greene proposait la création de banques mutuelles fondées sur la mise en gage de biens réels par leurs membres. Contrairement aux banques traditionnelles, appuyées sur l’or et l’argent, ces institutions auraient pu émettre des billets adossés à toute forme de richesse durable : terres, maisons, biens productifs. Comme l’expliquait Greene, « tout ce qui peut être vendu à l’encan peut servir de base à l’émission de monnaie »[17].

Le principe était simple : chaque membre déposait une garantie (par exemple une hypothèque) et recevait en échange des billets de banque circulant à parité entre les participants. L’intérêt exigé se limitait aux frais de fonctionnement, soit environ 1 %. Par ce mécanisme, le crédit devenait accessible à tous, et la concurrence entre banques mutuelles tendait à abolir l’usure et la spéculation. Greene voyait dans cette réforme une manière de « monétiser » l’ensemble des richesses sociales et de démocratiser l’accès au capital.

2. Critique de l’État et des privilèges

La théorie monétaire de Greene s’accompagnait d’une critique vigoureuse du rôle de l’État dans la genèse des inégalités. Pour lui, ce n’était pas un libre marché naturel qui engendrait la misère ouvrière, mais les privilèges accordés par la législation bancaire et les chartes de corporations. L’État, en réservant le droit d’émission monétaire aux banques privilégiées, créait artificiellement la rareté du crédit et renforçait la dépendance des travailleurs.

Dans Equality (<1849), il dénonçait ainsi l’hypocrisie des lois qui punissaient les coalitions ouvrières tout en applaudissant les ententes de capitalistes autorisées par l’octroi de chartes : « Si les ouvriers s’unissent parce que la concurrence pèse trop lourdement sur eux et qu’ils font grève, ils deviennent passibles de sanctions ; mais si les capitalistes s’unissent pour maintenir les prix de leurs marchandises, le législateur applaudit et leur accorde une charte »[18].

Son analyse faisait de la législation le principal moteur de l’asservissement économique : les crises, la pauvreté et même les grèves étaient pour lui les produits d’un système de crédit faussé par l’intervention politique.

3. Socialisme, individualisme et mutualisme

La pensée de Greene ne se réduisait pas à un simple projet technique. Elle visait une synthèse originale entre socialisme et individualisme. Rejetant le collectivisme autoritaire comme une forme d’oppression, il n’en critiquait pas moins l’individualisme absolu, qui risquait de concentrer les richesses entre les mains de quelques-uns. Son mutualisme devait permettre de préserver à la fois la liberté individuelle et la solidarité économique.

Ainsi écrivait-il dans Equality que « toute atteinte à la concurrence est une atteinte à la liberté et à l’égalité »[19]. Mais cette concurrence, pour être juste, devait être libérée des privilèges artificiels et rééquilibrée par la coopération mutuelle. Greene rejoignait ici Proudhon, dont il traduisit et discuta certains textes, en plaçant la réciprocité au centre de son projet.

D’après l’analyse de James J. Martin, l’originalité de William B. Greene réside dans le fait que son mutualisme n’est pas une simple transposition des idées de Proudhon. Il prend racine dans un contexte américain bien particulier : celui des débats monétaires qui ont suivi la panique financière de 1837. Les propositions d’Edward Kellogg, qui cherchaient à réformer le crédit et à élargir l’accès à la monnaie en dehors du monopole bancaire, constituent une source d’inspiration importante pour Greene. Ce dernier lit Proudhon avec attention, mais il n’hésite pas à le critiquer lorsqu’il estime que certaines solutions, comme la Banque du Peuple, risquent de concentrer le pouvoir financier au lieu de le disperser. Greene défend ainsi un mutualisme marqué par la volonté de décentralisation et par une sensibilité très ancrée dans les réalités économiques et sociales américaines du XIXᵉ siècle.

Liens externes

  1. Contexte historique : la Seconde guerre séminole (1835-1842) Ce conflit opposa les États-Unis au peuple séminole de Floride, qui refusait la déportation vers l’Ouest imposée par l’Indian Removal Act (1830). Menés par leur chef, Osceola, les Séminoles menèrent une guérilla dans les marais et les forêts, infligeant de lourdes pertes à l’armée américaine. Malgré l’engagement de dizaines de milliers de soldats et des dépenses énormes, les États-Unis ne parvinrent pas à une victoire totale. Si une majorité de Séminoles fut déplacée, un noyau résistant demeura en Floride.
  2. " William B. Greene solved this whole matter and summed it up in two words: “Mutual Banking.”, p150, "most elaborately and conclusively set forth", p164, "perfectly plain and convincing", p213, Benjamin Tucker, 1893, ; voir aussi p205
  3. [Martin, 1953, p.8]
  4. Martin, 1953, pp.129–130
  5. La panique de 1837 : Crise financière majeure aux États-Unis, déclenchée par la spéculation foncière et l’effondrement du crédit bancaire. Elle provoqua la faillite de nombreuses banques et entreprises, une forte hausse du chômage et une longue dépression économique qui dura jusqu’au milieu des années 1840. Cet épisode marqua profondément les réformateurs sociaux et les théoriciens monétaires, dont William B. Greene.
  6. Edward Kellogg (1790-1858) : Financier et réformateur américain, il publia en 1849, Labor and Other Capital, où il critiquait le monopole bancaire et proposait une réforme monétaire. Il prônait l’émission de crédit sans intérêt ou à faible coût, garanti par des biens réels, afin de rendre le capital accessible aux travailleurs. Ses idées influencèrent William B. Greene et nourrirent la réflexion sur le mutualisme bancaire et la réforme de la monnaie au XIXᵉ siècle.
  7. "Men Against the State", 1953, p8
  8. Robert Owen (1771-1858) : Industriel et réformateur social gallois, pionnier du socialisme utopique. Il améliora les conditions de vie de ses ouvriers à New Lanark (Écosse) en réduisant le temps de travail, en développant l’éducation et en créant des coopératives. Partisan d’une organisation sociale fondée sur la coopération plutôt que la concurrence, il inspira de nombreux projets communautaires, dont des expériences aux États-Unis (notamment New Harmony dans l’Indiana).
  9. Charles Fourier (1772-1837), philosophe et réformateur social français, est l’un des grands représentants du socialisme utopique. Il proposa la création de communautés coopératives appelées phalanstères, où l’organisation du travail devait suivre les passions humaines afin d’harmoniser société et nature. Ses idées inspirèrent plusieurs expériences communautaires, notamment aux États-Unis, même si toutes échouèrent.
  10. Pierre Leroux (1797-1871) : Philosophe, journaliste et homme politique français. Il forgea le terme socialisme et développa une pensée centrée sur la fraternité et la justice sociale, en insistant sur la solidarité entre les générations. Hostile à l’individualisme libéral et à l’autoritarisme étatique, il inspira de nombreux réformateurs par ses appels à une société plus égalitaire et spirituellement unifiée.
  11. Orestes Brownson (1803-1876) : Intellectuel et essayiste américain, d’abord associé au transcendantalisme, il s’orienta ensuite vers le catholicisme. Ses écrits abordaient les tensions entre la démocratie, la religion et la justice sociale. Dans les années 1840, il critiqua les inégalités économiques et défendit une réforme sociale inspirée à la fois par le christianisme et par des idéaux communautaires.
  12. William Ellery Channing (1780-1842) : Pasteur unitarien de Boston, il fut l’une des figures religieuses et intellectuelles majeures de son temps. Défenseur de la dignité humaine, il s’opposa fermement à l’esclavage et inspira de nombreux réformateurs sociaux. Son unitarisme libéral mettait l’accent sur la conscience individuelle, la morale et la liberté, influençant à la fois le transcendantalisme et divers courants de réforme sociale en Nouvelle-Angleterre.
  13. Le transcendantalisme (années 1830-1850) : Mouvement intellectuel et spirituel américain, né en Nouvelle-Angleterre autour de Ralph Waldo Emerson et Henry David Thoreau. Il prônait la primauté de l’intuition, la communion avec la nature et la confiance en la conscience individuelle. Héritier du romantisme européen, il inspira des expériences communautaires et des réformes sociales (abolitionnisme, éducation, condition des femmes).
  14. Brook Farm (1841-1847) : Expérience communautaire transcendantaliste fondée près de Boston par George Ripley et sa femme Sophia. Inspirée à la fois par le socialisme utopique de Charles Fourier et par le transcendantalisme de Ralph Waldo Emerson, la communauté visait à concilier travail manuel, vie intellectuelle et égalité sociale. Malgré un grand enthousiasme initial et la participation de figures comme Nathaniel Hawthorne, Brook Farm échoua financièrement et fut dissoute en 1847.
  15. Fruitlands (1843-1844) : Communauté utopique fondée dans le Massachusetts par Bronson Alcott et Charles Lane. Inspirée par le transcendantalisme et certaines idées perfectionnistes, elle prônait un mode de vie austère : végétarisme strict, refus de l’exploitation animale, rejet de la propriété privée et vie en autarcie. L’expérience, trop exigeante et économiquement fragile, ne dura que quelques mois, mais elle marqua l’imaginaire réformateur de l’époque.
  16. "Men Against the State", p112
  17. "Mutual Banking", 1850, p56, cité in James J. Martin, p129
  18. "Equality", 1849, p4, cité in James J. Martin, p139
  19. Ibid, p3, cité in James J. Martin, p139