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Timur Kuran
Timur Kuran , né à New York en 1954[1], est professeur d'économie et de sciences politiques et enseignant en études islamiques à l'Université Duke, aux États-Unis. Son travail couvre l'économie, les sciences politiques, l'histoire et les études juridiques.
Timur Kuran a passé sa petite enfance à Ankara, en Turquie[2]. Ensuite, la famille a déménagé à Istanbul. Pendant une décennie, il a vécu juste à côté du campus de l'Université de Boğaziçi[3]. Il a fait ses études secondaires en Turquie et fut diplômé du Robert College d'Istanbul en 1973. Il a ensuite étudié l'économie aux États-Unis à l'Université de Princeton, obtenant un diplôme magna cum laude en 1977. Puis, il est allé à l'Université de Stanford où il a obtenu un doctorat en économie, sous la direction du Professeur Kenneth Arrow[4]. Timur Kuran a ensuite enseigné à l'Université de Californie du Sud entre 1982 et 2007 où il a occupé la chaire King Faisal, à partir de 1993, pour donner des cours sur la pensée et la culture islamiques. Durant sa carrière, il a été présent dans des universités américaines prestigieuses[5] et participa à l'édition d'ouvrages scientifiques[6].
La falsification des préférences
Dans son article publié dans la revue Public choice, en 1989, "Étincelles et feux de prairie : une théorie de la révolution politique imprévue", Timur Kuran donne un éclairage à certaines grandes révolutions qui n'ont pas été anticipées[7]. Il explique que tant que l'opposition semble faible, les gens n'expriment pas leur désapprobation vis à vis de leur gouvernement. Ils cachent publiquement leur désir de changement. Même des événements insignifiants en eux-mêmes peuvent avoir de grandes répercussions. Il invente le terme de falsification des préférences. Il développe l'idée que les gens déclarent publiquement qu'ils croient en une chose, alors qu'ils croient en une autre en privé. Les déclarations peuvent être tout à fait opposées afin d'apparaître socialement acceptables pour les autres. Du fait de cette falsification des préférences, un gouvernement qui apparaît inébranlable peut soudainement voir ses soutiens s'effondrer suite à une légère augmentation de la taille de l'opposition. Cependant rétrospectivement, nous dit Timur Kuran, les analystes et les commentateurs sont fiers de déclarer que cette révolution était inévitable car une panoplie de conflits étaient jusque-alors imperceptibles, voire cachés.
Dans son livre, "Private Truths, Public Lies: The Social Consequences of Preference Falsification", publié en 1995, Timur Kuran reprend son idée formulée dans son article de 1989 (Étincelles et feux de prairie). La falsification des préférences est souvent répandue dans les régimes politiques totalitaires lorsque l'expression d'une opinion contraire au pouvoir risque de provoquer des conséquences sociales négatives voire des sanctions très graves comme l'emprisonnement, la torture ou l'exécution. Aussi, prospectivement et rétrospectivement, la compréhension des points de bascule implique l'analyse du renversement de la falsification des préférences. Les citoyens ne changent pas brusquement et étrangement d’avis ; ils cessent simplement de le dissimuler.
L'énigme du sous-développement des pays du Moyen-Orient
Spécialiste de l'économie islamique, Timur Kuran donne des arguments sur les racines institutionnelles de la stagnation économique du Moyen-Orient dans son livre publié en 2011, "The Long Divergence: How Islamic Law Held Back the Middle East". Il s'interroge sur l'énigme du sous-développement économique des pays du Moyen-Orient. Ceci est une étrangeté car, vers l'an 1 000, le Moyen-Orient était une région commercialement très développée. Pour comprendre ce retournement de situation avec l'économie européenne au milieu du XIXe siècle, Timur Kuran en cherche les causes du côté de la religion.
Certaines institutions économiques clés du Moyen-Orient islamique étaient étroitement liées à la loi sacrée de l'Islam. Mais, sur ce point, il n'y a pas de différence avec la religion chrétienne européenne. Le prophète était connu pour ses capacités commerciales, donc rien n'arrête l'islam sur le développement des échanges économiques. Au Xe siècle, l'échange était essentiellement personnel comme partout, en Italie, en Inde ou en Irak. Les convois étaient parrainés par un investisseur privé[8].
Un premier regard sur les règles islamiques concernant les droits de succession font apparaître les premiers inconvénients du système d'héritage islamique. Timur Kuran note une importance détaillée de la jurisprudence concernant les règles économiques du Coran sur le point de l'héritage. Ces règles restreignaient les privilèges testamentaires de l'individu à un tiers seulement de sa succession, le Coran réservait la part non léguée aux enfants, conjoints, parents et frères et sœurs des deux sexes. Dans certains cas, l'héritage allait jusqu'à des parents éloignés.
Timur Kuran révèle la fondation en 1851 de la première société par actions à majorité musulmane de l'Empire ottoman. La société de transport maritime Şirket-i Hayriye, littéralement la « Société de bon augure » était basée à Istanbul[9]. À l'époque, l'empire commençait à peine à installer l'infrastructure juridique requise. Les tribunaux de commerce créés pour appliquer le code de commerce en étaient à leurs balbutiements et l'ouverture d'une bourse organisée n'était même pas à l'étude. Vers la même époque, les deux premières banques du Moyen-Orient, la Banque d'Égypte et la Banque ottomane, ont été fondées. Mais, dans chaque cas, le capital et le modèle organisationnel venaient de l'étranger, et l'administration était dominée par l'étranger. À peu près à la même époque, l'Égypte et l'Empire ottoman ont établi des tribunaux de commerce spécialisés qui statuaient essentiellement selon le code de commerce français.
Par conséquent Timur Kuran en conclut que l'origine du sous-développement dans les pays musulmans est endogène. Il considère que l’explication du déclin dès le XVIème siècle et, ultérieurement, du sous-développement économique n’est pas politique mais juridique (droit de succession, droit des contrats, droit des entreprises et droit bancaire). C'est par la vacuité de l'islam à répondre aux exigences institutionnelles du monde social et économique qui évolue sans cesse que des substituts juridiques ont été extraits d'autres cultures sans forcément s'adapter à la culture islamique. Par conséquent la faiblesse juridique institutionnelle des pays islamiques les a menés vers un déclin économique faute de cette osmose juridico-institutionnelle.
Informations complémentaires
Notes et références
- ↑ Ses parents d'origine de Turquie étaient venus faire des études aux États-Unis. Ils furent diplômés à l'Université de Yale.
- ↑ Son père enseignait à l'Université technique du Moyen-Orient d'Ankara.
- ↑ Son père était président et professeur d'histoire de l'architecture islamique àl'Université de Boğazi
- ↑ Kenneth Arrow était déjà le lauréat du prix Nobel d'économie en 1972.
- ↑ Entre 1989 et 1990, il a été membre de l'Institute for Advanced Study de Princeton. Entre 1996 et 1997, il a occupé le poste de professeur invité John Olin à la Graduate School of Business de l'Université de Chicago. De 2004 à 2005, il a été professeur invité d'économie à l'Université de Stanford. Entre 2005 et 2007, il a été le fondateur et directeur de l'Institut de recherche économique sur les civilisations de l'Université de Californie du Sud
- ↑ De 1990 à 2008, Timur Kuran a été rédacteur en chef d'une série de livres interdisciplinaires publiée par l'University of Michigan Press. Cette série a été rétablie à Cambridge University Press en 2009 sous le titre "Cambridge Studies in Economics, Cognition and Society"
- ↑ Par exemple, la Révolution française de 1789, la Révolution russe de février 1917 et la Révolution iranienne de 1978-1979.
- ↑ Cet homme ou cette femme fortunée finançait un commerçant reconnu comme digne de confiance et donc fiable économiquement car il le connaissait personnellement ou via des amis de confiance. Les tribunaux existaient pour statuer sur les litiges commerciaux entre personnes qui avaient des différends contractuels
- ↑ Son capital était divisé en 2 000 actions négociables. L'entreprise "Şirket-i Hayriye" a commencé ses activités sous le patronage du sultan Abdülmecit, son principal actionnaire.
Publications
- 1989, "Sparks and prairie fires: A theory of unanticipated political revolution", Public Choice, Vol 61, n°1, pp41–74
- 1991,
- a. "The East European revolution of 1989: is it surprising that we were surprised?", American Economic Review, Vol 81, n°2, pp121–125
- b. "Now out of never: The element of surprise in the East European Revolution of 1989", World Politics, vol 44, octobre, pp7-48
- 1995,
- a. "Private Truths, Public Lies: The Social Consequences of Preference Falsification", Cambridge, MA: Harvard University Press
- b. "Islamic Economics and the Islamic Subeconomy", Journal of Economic Perspectives, Autumn, Vol 9 , n°4, pp155-173
- 2003, “The Islamic Commercial Crisis: Institutional Roots of Economic Underdevelopment in the Middle East”, The Journal of Economic History, Vol 63, n°2, June, pp414–446
- 2004, "Islam and Mammon: The economic Predicaments of Islamism", Princeton
- 2010, "The scale of entrepreneurship in Middle Eastern history: Inhibitive roles of Islamic institutions", In: David S. Landes, Joel Mokyr et William J. Baumol, dir., "The Invention of Enterprise: Entrepreneurship from Ancient Mesopotamia to Modern Times", Princeton University Press, pp62-87
- 2011, "The Long Divergence: How Islamic Law Held Back the Middle East", Princeton University Press
- 2019, avec Diego Romero, "The Logic of Revolutions: Rational Choice Perspectives", In: Roger Congleton, Bernard Grofman, Stefan Voigt, dir., "The Oxford Handbook of Public Choice", Vol 1, Oxford: Oxford University Press, pp345–360
Littérature secondaire
- 1997, Peter Boettke, commentaire du livre de Timur Kuran, "Private Truths, Public Lies", Constitutional Political Economy, Vol 8, pp89-91
- 2015, Jean-Noël Ferrié, commentaire du livre de Timur Kuran, "The Long Divergence. How Islamic Law Held Back the Middle East", Revue européenne des sciences sociales, Vol 53, n°1, pp333-337