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Puritanisme
Le puritanisme est un courant religieux et social né dans l’Angleterre du XVIᵉ siècle, porté par des croyants désireux de « purifier » l’Église anglicane de ses influences jugées trop catholiques. Migrés en Nouvelle-Angleterre au XVIIᵉ siècle, les Puritains ambitionnaient d’édifier une société exemplaire, une « cité sur la colline »; fondée sur une discipline morale stricte, une vie communautaire exigeante et une foi vécue dans toutes les dimensions de l’existence, y compris l’économie et la politique.
Vision religieuse et projet de société
Le puritanisme qui s’implante en Nouvelle-Angleterre au XVIIᵉ siècle s’appuie sur une vision profondément religieuse du monde. Les colons, sous l’impulsion de leur gouverneur John Winthrop[1], se considèrent comme appelés à édifier une « cité sur la colline », en référence au passage de l’Évangile selon Matthieu (5:14). Leur communauté doit être un modèle visible, une lumière dans les ténèbres, destinée à inspirer les nations et à montrer ce que peut devenir une société fondée sur l’obéissance à Dieu.
Cet idéal s’accompagne d’un optimisme initial très marqué : les Puritains sont convaincus qu’il est possible, et même nécessaire, de reconstruire le monde selon les principes chrétiens. Leur mission dépasse donc la simple survie dans le Nouveau Monde ; elle vise à créer une société exemplaire, à la fois prospère et pieuse, où chaque domaine de la vie (travail, famille, relations sociales) reflète la fidélité à Dieu.
Au cœur de ce projet, le sermon occupe une place centrale. C’est par la prédication que les consciences sont formées, que les normes de conduite sont rappelées et que la communauté se resserre autour de valeurs communes. L’adhésion aux Églises locales reste minoritaire, car l’entrée en tant que membre nécessite une conversion personnelle et reconnue, mais cette minorité exerce une influence décisive. La discipline religieuse, exigeante et stricte, garantit l’unité et donne au projet puritain sa cohérence : faire de la vie quotidienne, jusque dans ses aspects les plus concrets, une réponse fidèle à l’appel divin.
Institutions, culture et gouvernance puritaines
La société puritaine de la Nouvelle-Angleterre s’est structurée autour d’institutions qui reflétaient à la fois l’héritage intellectuel de ses élites et le pragmatisme de la vie coloniale. Les dirigeants de la colonie, issus des universités de Cambridge ou d’Oxford, étaient formés au droit et à la théologie. Cette double compétence leur permettait de gouverner selon des principes religieux tout en organisant la vie civile. La population, pour sa part, bien que composée majoritairement de fermiers et d’artisans, était largement lettrée. L’éducation tenait une place essentielle, car la lecture de la Bible était considérée comme indispensable à la vie chrétienne. Toutefois, cette culture savante s’accompagnait d’un sens pratique constant : il fallait adapter les idéaux aux réalités parfois rudes du Nouveau Monde.
L’organisation locale reposait sur un équilibre subtil entre les autorités religieuses et civiles. Les magistrats administraient la justice et veillaient à l’application des lois ; les anciens, ou « elders », guidaient les communautés dans la foi et l’éthique ; les synodes rassemblaient les Églises pour débattre des questions doctrinales et disciplinaires. Ces différents organes ne s’opposaient pas, mais collaboraient pour maintenir la cohésion d’une société où la religion et la vie publique formaient un tout indissociable.
La gestion des biens communs (commons) constituait un autre volet de cette organisation : les selectmen[2] régulaient l’usage des pâtures, des forêts et de l’eau, en fixant des règles d’accès, en limitant le nombre de bêtes autorisées par famille, et en infligeant des amendes en cas d’abus. Des inspecteurs étaient même désignés pour vérifier l’entretien des clôtures, source constante de conflits. Ces réglementations, souvent contestées et modifiées, témoignent des difficultés récurrentes liées à l’administration collective des ressources.
Il existait néanmoins une distinction fondamentale entre les offices : les pasteurs, porteurs de la parole, n’occupaient pas de fonctions politiques, tandis que les magistrats, détenteurs de l’épée, n’avaient pas une autorité spirituelle. Ce partage des rôles ne signifiait pas une séparation entre l’Église et l’État, inexistante à l’époque, mais garantissait que chaque autorité agissait dans son domaine propre, tout en poursuivant un but commun : faire de la colonie un modèle chrétien.
Enfin, le gouvernement puritain se caractérisait par une forte dimension expérimentale. Les dirigeants n’hésitaient pas à promulguer des lois pour répondre à une situation particulière, puis à les abroger si elles s’avéraient inefficaces. Ainsi, la réglementation des salaires ou des prix fut tour à tour imposée, allégée, puis rétablie. Cette capacité à tester, corriger et ajuster illustre le pragmatisme puritain : leur gouvernance ne reposait pas seulement sur des idéaux théologiques, mais aussi sur l’observation attentive des résultats concrets.
Cependant, cette organisation stricte n’empêchait pas l’émergence de voix dissidentes. L’exemple le plus célèbre est celui d’Anne Hutchinson, qui, par ses réunions privées et ses critiques de l’orthodoxie puritaine, remit en cause l’autorité conjointe des magistrats et du clergé. Son procès et son bannissement révélèrent les limites de la tolérance puritaine et soulignèrent combien la gouvernance de la colonie restait fermée aux expressions trop personnelles de la liberté religieuse.
L’éthique économique puritaine
L’éthique économique des Puritains s’enracinait dans un héritage médiéval qu’ils avaient emporté d’Angleterre. Au cœur de cette tradition se trouvait la doctrine du « juste prix », héritée de Thomas d’Aquin et des scolastiques. Le prix d’un bien ou d’un service ne devait pas être uniquement le fruit de la rencontre entre l’offre et la demande : il devait aussi refléter une certaine justice morale, destinée à protéger la communauté des abus et des excès. Les Puritains voyaient dans le marché non pas une sphère autonome, mais un prolongement de l’ordre chrétien, où l’équité et la modération devaient primer sur l’appât du gain.
Cette vision nourrissait une méfiance profonde envers le profit jugé excessif. Vendre trop cher ou tirer avantage de la misère d’autrui était assimilé à une forme d’oppression économique, considérée comme immorale et pécheresse. Pour prévenir ces dérives, les autorités de la colonie mirent en place divers outils de régulation. Dès 1630, des plafonds furent imposés aux salaires des artisans et des ouvriers ; quelques années plus tard, des marges commerciales maximales furent fixées pour les produits importés, avec un surcoût autorisé de 33 % par rapport au prix de Londres. À ces mesures s’ajoutaient des inspections de marchandises et des restrictions sur la qualité des produits, héritées du modèle des corporations médiévales.
Le cas du capitaine Robert Keayne[3] illustre les tensions inhérentes à cette éthique. En 1639, ce marchand influent de Boston fut accusé d’avoir pratiqué des prix abusifs. Son procès, très médiatisé, aboutit à une amende lourde et à une confession publique devant son Église. Pourtant, Keayne défendait ses pratiques en affirmant qu’elles restaient conformes aux usages du commerce. Cette affaire montrait bien l’impasse des Puritains : entre la volonté d’imposer des normes morales strictes et la difficulté d’établir des règles objectives et applicables au quotidien.
À ce contrôle moral s’ajoutaient les problèmes liés à la gestion collective des ressources. Les expériences de propriété commune, comme le « storehouse »[4] ou les pâturages partagés, entraînaient rapidement désorganisation et conflits. Les difficultés de régulation, le phénomène de “passagers clandestins”[5] (free riders) et les querelles autour de l’entretien des clôtures ou de l’usage du bois illustrent ce que l’on appellerait plus tard la “tragédie des communs”.
Ainsi, la doctrine du juste prix, en dépit de sa noblesse théorique, se heurtait aux réalités du marché colonial. Les fluctuations de l’offre et de la demande, les crises de surproduction ou de pénurie, rendaient presque impossible l’établissement d’un « prix équitable » valable pour tous. De même, la gestion collective des biens communs révéla ses limites, incitant progressivement les colons à privilégier la propriété privée et la responsabilité individuelle. Ce dilemme marqua toute l’expérience puritaine : comment concilier l’exigence morale héritée de l’Europe médiévale avec le dynamisme et l’imprévisibilité de l’économie du Nouveau Monde ?
Politiques économiques et régulations (1630–1676)
La Nouvelle-Angleterre puritaine connut, tout au long du XVIIᵉ siècle, une succession de vagues de régulations économiques suivies de phases de relâchement. Dès 1630, les autorités coloniales imposèrent des plafonds salariaux pour limiter la hausse des rémunérations dans un contexte de forte demande de main-d’œuvre. Quelques années plus tard, en 1635, une marge maximale de 33 % fut fixée sur les produits importés de Londres, et des lois furent adoptées contre les « profits excessifs », accusés de mettre en péril l’équité communautaire. En 1641, une révision des salaires témoigna déjà de l’ajustement pragmatique des dirigeants, soucieux de maintenir un équilibre entre les principes moraux et les réalités du marché.
Les crises économiques accentuèrent ces oscillations. La dépression des années 1640 remit en cause certaines mesures trop rigides, tandis que la guerre du roi Philip (1675–1676)[6], qui dévasta une partie de la région, provoqua un dernier sursaut réglementaire avec le retour de plafonds et de contrôles sur les prix.
À côté de ces régulations générales, les autorités s’attachaient aussi à organiser la vie économique de voisinage, en particulier autour des commons, les biens collectifs. Les troupeaux de vaches ou de chèvres étaient confiés à des gardiens communs, et chaque habitant avait l’obligation de joindre son animal au troupeau (herd) sous peine d’amende. Des taxes d’entretien étaient levées pour financer les bergers et les clôtures, et de multiples règlements tentaient de prévenir les abus, comme les intrusions dans les champs ou la coupe illicite de bois. Cette inflation normative entraînait cependant des conflits récurrents et illustrait la difficulté de gérer des ressources communes sans engendrer tensions et rivalités.
Après 1676, la tendance s’inversa nettement. La plupart des contrôles économiques furent abandonnés, au profit d’une régulation plus limitée et ciblée. Seule « l'assise du pain », qui fixait le prix du pain en fonction du cours du blé, subsista jusqu’au début du XVIIIᵉ siècle, vers 1720. Ce reflux marqua la fin d’une ère de réglementation intensive et ouvrit la voie à une plus large place laissée aux dynamiques du marché.
Propriété, terres et fin de la « tragédie des communs »
L’organisation foncière de la Nouvelle-Angleterre puritaine témoigne des hésitations et des ajustements constants entre la mise en commun et l'appropriation individuelle. Dans les premières années, l’expérience du storehouse (1621–1623), qui reposait sur une mise en commun des récoltes et une redistribution centralisée, se solda par un échec retentissant : le manque d’incitation personnelle entraîna une désorganisation et des faibles rendements. Face à cette impasse, les colons revinrent rapidement à un système de parcelles privées, où chacun récoltait le fruit de son propre labeur.
En 1627, le rachat de la compagnie par les habitants accéléra la répartition progressive des terres. Chaque famille reçut sa part, favorisant l’enracinement et la stabilité. Toutefois, une partie des ressources demeura collective : prés, pâturages, forêts et eaux continuaient d’être exploités en commun. Cette organisation donna lieu à de nombreux conflits. Animaux errants, clôtures mal entretenues, surexploitation du bois ou des pâtures ; autant de tensions qui illustrent la difficulté à gérer durablement des biens communs.
Certaines communautés connurent même des divisions profondes. L’exemple de Sudbury et Marlborough est révélateur : la distribution des terres provoqua des désaccords si vifs qu’ils menèrent à une scission de la communauté, chacun cherchant un nouvel équilibre foncier.
À partir de 1675, une tendance claire se dessina : la privatisation progressive des communs. Cette évolution, perçue comme une réponse à la « tragédie des communs », permit de réduire les abus et de responsabiliser davantage chaque exploitant. La propriété individuelle s’imposa comme la solution la plus viable pour garantir la prospérité et la stabilité.
De cette dynamique naquit l’idéal du yeoman farmer : un paysan propriétaire, autonome, attaché à sa terre, symbole d’une Amérique agraire où la responsabilité personnelle et l’indépendance constituaient les valeurs cardinales.
Informations complémentaires
Notes et références
- ↑ James K. Hosmer, 1908, dir., "Winthrop‘s Journal: 'History of New England', 1630-1649", 2 vols.; New York: Barnes & Noble
- ↑ Les selectmen étaient des administrateurs municipaux élus dans les colonies puritaines de Nouvelle-Angleterre. Ils formaient une sorte de conseil exécutif local, chargé des affaires courantes de la communauté : gestion des terres, finances, règlementation, surveillance des habitants et maintien de l’ordre.
- ↑ Bernard Bailyn, 1964, dir., "The Apologia of Robert Keayne", New York: Harper Torchbook
- ↑ Le storehouse était un magasin collectif instauré dans les débuts de la colonie puritaine (notamment chez les Pèlerins de Plymouth). Tous les colons devaient y déposer le fruit de leur travail, et les récoltes étaient ensuite redistribuées de manière égale entre les familles.
- ↑ Les passagers clandestins (ou free riders) sont des personnes qui profitent d’une ressource ou d’un service collectif sans contribuer à son entretien ni à son coût. Certains utilisaient les pâturages communs ou le bois de la forêt, mais négligeaient de réparer les clôtures ou de respecter les règles, laissant les autres assumer les efforts.
- ↑ La guerre du roi Philip (1675–1676) fut un conflit sanglant opposant les colons anglais de Nouvelle-Angleterre aux peuples amérindiens menés par Metacom, chef des Wampanoags surnommé « King Philip ». Elle éclata à cause de la pression coloniale sur les terres autochtones et des tensions culturelles et politiques. C’est l’une des guerres les plus meurtrières du XVIIᵉ siècle en Amérique du Nord, qui ravagea de nombreux villages, coûta la vie à des milliers d’Indiens et affaiblit durablement leur résistance face à l’expansion coloniale.
Bibliographie
- 1963, Sumner Chilton Powell, "Puritan Village", Garden City, N. Y.: Doubleday Anchor
- 1966, Kai T. Erikson, "Wayward Puritans", New York: Wiley
- 1971,
- Stephen Foster, "Their Solitary Way: The Puritan Social Ethic in the First Century of Settlement in New England", Yale University Press
- lain Murray, "The Puritan Hope", London: Banner of Truth
- 1974,
- Gary North, "The Puritan Experiment in Common Ownership", The Freeman, April, Vol 24, n°4, pp209-220 [lire en ligne]
- Repris en 1994, "The Puritan Experiment in Common Ownership", In: Burton Folsom, dir., "The Spirit of Freedom: Essays in American History", Irvington-on Hudson, N.Y.: Foundation for Economic Education, pp14-26
- Gary North, "The Puritan Experiment with Price Controls", The Freeman, May, Vol 24, n°5, pp270-285
- Gary North, "The Puritan Experiment with Sumptuary Legislation", The Freeman, June, Vol 24, n°6, pp341-355 [lire en ligne]
- Gary North, "The Puritan Experiment in Common Ownership", The Freeman, April, Vol 24, n°4, pp209-220 [lire en ligne]