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Utilisateur:Adrian/bestofliborg
Il me semble que la ligne de démarcation n'est pas entre libéraux et libertariens, mais se situe au sein même de la tradition libérale d'abord entre la tradition de l'ordre spontané et celle rationaliste (en gros Hume, Burke, Hayek, Buchanan, de Jasay c. Locke, l'école de Paris, les physiocrates), puis au sein de la tradition française entre libéralisme physiocratique et aristocratique (aristo : Montesquieu, Tocqueville, de Jouvenel, etc).
Il n'y a pas dans la tradition de l'ordre spontané de volonté de réorganiser le corps social pour le rendre conforme aux impératifs du libéralisme politique, ce qui peut s'expliquer en grande partie par la tradition de common law. Comme pour leur pendant rationaliste, il y a défense du gouvernement représentatif à la fois comme reflet de la volonté des individus rassemblées en gouvernement civil et séparation des pouvoirs pour contrebalancer l'arbitraire de l'exécutif. Seulement, contrairement au libéralisme rationaliste, il s'agit plus de protéger certaines conventions (la justice et la propriété) déjà existante plutôt que de les inventer ou de les réinventer en fondant ou refondant l'Etat par le contrat social par exemple.
La tradition aristocratique du libéralisme s'est opposée à la monarchie comme destructrice des corps intermédiaires. Tocqueville va même jusqu'à affirmer qu'il y a continuité entre le monisme de l'Etat républicain et la monarchie absolue. Seulement sur cet aspect, tu as raison de souligner que certains libéraux vont soutenir les acquis de la révolution contre le retour possible ou fantasmé à la féodalité (Constant et Napoléon).
On retrouve dans toutes les traditions des terminaisons "libertariennes", tout comme on retrouve des positions classiques ou néolibérales (ou ordolibérales au sens ou tu l'entends ici, avec un Etat non pas minimalitaire mais édificateur du marché) : moi qui suis particulièrement attentif à la tradition de l'ordre spontané, je vois qu'elle contient à la fois l'anarcho-capitalisme que tu évoques (Bruce Benson, Anthony de Jasay), le libéralisme classique (Hayek) ou le néolibéralisme (James Buchanan, David Gauthier). Les premiers insistent sur l'émergence et le caractère conventionnel de la propriété et de la justice, le second sur l'imbrication entre taxis et nomos, et les troisièmes sur le nécessaire maintien d'une structure au sein de l'ordre spontané. Dans le sillage du rationalisme libéral lockéen, même topo : à un Rothbard correspond un Nozick et un Epstein.
Le point sur lequel achoppe toute ces traditions, c'est la place de l'activité de gouvernement : là encore, la différence qui apparaît ne se situe pas entre libéraux et libertariens, mais sceptiques et rationalistes. Je m'explique : d'un côté, pour certain, l'activité de gouverner consiste à protéger l'ordre existant, les conventions établies sans chercher une finalité en dehors d'elle-même. De l'autre, elle cherche à mobiliser l'ensemble du corps social pour atteindre tel ou tel but (c'est la distinction entre politique du scepticisme et politique de la foi posée par Oakeshott).
Au sein de la politique du scepticisme, le gouvernement représentatif, la séparation des pouvoirs, la constitution rationnelle vise à protéger l'ordre social sans interférer sur son contenu. Au sein de celle de la Foi, la Politique mobilise les dirigeants pour rendre la société conforme à ses vues (Oakeshott pose bien entendu ici deux idéal-types). D'après mes lectures de Tocqueville et Rosanvallon, la physiocratie tout comme l'esprit du libéralisme de la révolution française appartient plus à la politique de la Foi, au rationalisme (au constructivisme) et parle le langage universaliste des droits naturels, ce qui ne l'empêche pas d'avoir enfanté des théories et théoriciens libertariens. Maintenant, il est possible que ma lecture soit un peu simpliste (surtout si j'en crois alain laurent). Reste qu'elle est celle qui s'accommode le plus de la monarchie absolue...
Du coup, même chez les libéraux classiques, certains courants sont tout à fait ouverts et protecteurs, du moins en théorie, au localisme, aux communautés et même aux variations entre états (fédéralisme).
On oublie trop souvent que le libéralisme historique est entré en crise dès la fin du 19eme, et qu'il a totalement disparu dans les pratiques (et presque totalement dans les esprits) au milieu des années 30, que les premiers régimes libéraux à se saborder (au nom du planisme) furent l'Angleterre et les USA, que le parlementarisme libéral en Italie et en Allemagne furent des échecs totaux et offrirent une piètre opposition au fascisme et au nazisme. Les rares libéraux qui subsistaient prenaient soin de se distinguer du "libéralisme manchestérien" (ex Hayek au début de sa carrière), cet affreux ultralibéralisme qui avait tout foiré.
Après cette disparition effective du libéralisme (au profit de l'Etat social est celui que nous connaissons maintenant depuis plus de 50 ans), on retrouve plusieurs attitudes (toujours par rapport à l'activité de gouverner) : la première consiste à vouloir ressusciter ou théoriser le libéralisme classique pour limiter la casse (Mises et Hayek par exemple), la seconde consiste à vouloir réformer le libéralisme pour intégrer dans le domaine de la théorie ses faiblesses (colloque Lippman, socialisme libéral ou libéralisme social, new liberalism), la troisième, plus tardive est une remise en cause radicale du compromis Etat démocratique et libéralisme. Et c'est là que commencent à se faire entendre les libertariens (leur âge d'or c'est les années 70) : plutôt que de vouloir faire revivre en théorie le libéralisme politique classique, ils vont opérer (ou approfondir) une critique interne à la tradition libérale en s'appuyant sur l'économie : si celle-ci a disparu, ce n'est pas seulement à cause de ses méchants ennemis, mais aussi de ses faiblesses internes (et de ses faux amis : la démocratie, la redistribution, le gouvernement représentatif, le constitutionnalisme, etc). En opérant cette critique, le libéralisme intégral devient plus accueillant pour un certain nombre de personnes qui justement rejetait la synthèse du libéralisme classique parce qu'incompatible avec leur vue (je pense en particulier, parce que je connais un peu, le catholicisme et le constitutionnalisme libéral, ce dernier introduisant dans l'ordre politique des éléments hostiles à la doctrine, etc ou encore le développement de l'Etat social comme substitut aux solidarités organiques).
L’Etat s'impose et se pose comme une organisation sociale nécessaire pour produire les biens publics que le marché est incapable de produire. Là où le marché est inefficace, l'Etat oblige à la coopération (sic) pour produire tel ou tel bien ou service. C'est le fameux exemple tiré du traité de la nature humaine de D. Hume, repris par tous les public choicers frottés de théorie des jeux à propos des deux types qui creusent une digue : les deux en ont besoin, ce qui signifie que les deux ont intérêt à minimiser leurs efforts et faire supporter les coûts des travaux sur l'autre partie.
En conclusion, si on observe toutes les alternatives, il est plus rationnel pour les deux parties de ne pas engager les travaux. Donc, pour James Buchanan par exemple, il est tout à fait raisonnable d'en appeler à un tiers pouvoir pour les mettre d'accord et les faire bosser sous la contrainte. Et tout cela par souci d'efficacité.
Seulement, et c'est là que ça pose problème, on institue un monopole de contrainte, ce qui cumule les problèmes liés à la contrainte (la disparition progressive des mécanismes de coopération) et au monopole (l'augmentation du coût des services et l'abaissement de leurs qualités).
La supériorité de la mafia sur l'Etat, toujours pour poursuivre le raisonnement "à la libertarien radical", c'est qu'elle ne peut prétendre à un tel monopole sur la contrainte, et que ses services en matière d'aide à la population sont temporaires et concurrencés par d'autres orgas
Ceci dit, il est temps, une fois pour toute, de dégonfler cette encombrante baudruche du "pragmatisme". Surtout quand ce dernier sert de porte d'entrée arrière aux racistes et autres xénophobes. Le pragmatisme, ce n'est pas un courant ni un mode du libéralisme. Le libéralisme pragmatique, ça n'existe pas. Pas plus que le christianisme pragmatique ou le marxisme pragmatique. Le pragmatisme est un mode d'action, pas une pensée politique. Pour un libéral, être pragmatique, ce n'est pas remettre en cause le caractère fondamental de la liberté en général et de la liberté de circulation en particulier dans la théorie libérale. C'est, par exemple, voter pour un parti qui aurait un programme politique offrant le plus de propositions libérales par rapport aux autres partis, mais qui malheureusement serait en retrait sur la liberté de circulation. Pour un parti politique qui se voudrait libéral, être pragmatique, ce n'est pas présenter un programme politique proposant des mesures limitant la liberté de circulation pour essayer d'appâter un électorat frileusement xénophobe. C'est, par exemple, mettre momentanément en parenthèse cette revendication essentielle de la théorie libérale lors de négociation avec d'autres partenaires politiques, au niveau national ou international, comme monnaie d'échange en vue de faire avancer d'autres propositions libérales.
Bref, pour un libéral, le pragmatisme ne consiste pas à édulcorer ou à trahir les principes fondamentaux du libéralisme, en ce compris la liberté de circulation, pour complaire à des gens intellectuellement méprisables. Il consiste, au contraire, à les réaffirmer avec une force contondante. Afin de pouvoir, au niveau du jeu politique, négocier l'application concrète d'un maximum de propositions libérales. Le libéral qui s’assiérait à la table de négociation avec une position minimaliste passant à la trappe des principes fondamentaux du libéralisme n'obtiendra strictement rien, se fera dévorer tout cru par ses adversaires politiques et sa trahison n'aura servi en rien la cause de la liberté. Le déshonneur et la défaite. Mais bon, c'est pas comme si ce n'était pas la voie empruntée par de prétendus libéraux depuis des décennies, avec les magnifiques résultats que l'on connait.
http://www.liberaux.org/index.php/topic/14011-immigration-questions-de-chiffres/?p=1287674
Le libéralisme n'est pas une auberge espagnole, pas plus que n'importe quelle autre théorie politique du pouvoir. Il se trouve qu'il existe certains fondamentaux du libéralisme qui ne peuvent être évacués par quelques tours de passe-passe sophistiques. La liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression ont toujours représenté le socle fondateur de toute idée libérale. Et la liberté s'entendait dans tous les sens depuis la liberté religieuse jusqu'à la liberté de presse en passant par celle de circulation, de réunion, d'association, etc. À l'époque où le libéralisme avait du poids et pouvait peser sur la politiques des pays occidentaux, cette liberté de circulation n'a jamais fait problème ni été remise en cause. On a rappelé qu'avant la Première Guerre mondiale, on se déplaçait en Europe sans passeports et sans contrôles frontières. Et l'empire russe, qui fermait et contrôlait ses frontières et imposait aussi bien le passeport pour ses nationaux en interne que pour les étrangers, était perçu comme particulièrement rétrograde et despotique sur ce point.
Dénaturer le sens profond du libéralisme n'est certainement pas la meilleure manière d'en diffuser les idées au 21e siècle. Car, tant qu'à courir après des adhérents supplémentaires en trahissant les idéaux libéraux, pourquoi se limiter à l'évacuation de la liberté de circulation ? On devrait pouvoir également faire de jolis scores auprès des intolérants si l'on passait à la trappe la liberté religieuse. Il devrait même avoir moyen de séduire nombre de personnes tentées par les idées gauchistes si l'on se montrait plus souple quant à la protection de la propriété ou la libre disposition des revenus et de l'épargne. Pourquoi les libéraux, par "pragmatisme", devraient-ils seulement tenter de séduire les xénophobes et pas ceux qui estiment que l'État devrait avoir un rôle bien plus important que celui de simple veilleur de nuit ?
http://www.liberaux.org/index.php/topic/14011-immigration-questions-de-chiffres/?p=1284836
En général, les libéraux utilisent trois acceptions de l'individualisme qu'ils confondent allègrement quand ils sont mal réveillés et de mauvaise humeur : il y a l'individu de l'individualisme méthodologique, qui est une méthode pour décrire les relations entre être humain et qui est normalement neutre du point de vue des valeurs, il y a l'individualisme moral, qui consiste à positiver tout ce qui va dans le sens de l'émancipation des communautés jugées oppressives ou collectivistes, et il y a l'individualisme politique, qui tend à approuver toutes les politiques allant dans le sens de l'individualisme moral. Et ce n'est que trois acceptions possibles. L'individualisme de Buchanan n'est pas celui de Hoppe qui n'est pas celui des benthamites. Et les différentes acceptions ont des conséquences théoriques et pratiques énormes.