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Henri Arvon
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Henri Arvon (1914-2005) est un philosophe et historien des idées français. Spécialiste de la philosophie allemande moderne, il a consacré ses recherches à l’existentialisme, au marxisme et à l’anarchisme. Ses travaux ont particulièrement mis en lumière la pensée de Max Stirner, dont il a montré l’importance pour comprendre à la fois l’individualisme libertarien et certaines racines de l’existentialisme.
Sa pensée
- . Contexte et formation intellectuelle. Le travail de Henri Arvon s’est concentré sur l’existentialisme, le marxisme et l’anarchisme, trois traditions intellectuelles qu’il a su mettre en perspective et confronter. Dès le début de son parcours, il s’est passionné pour la philosophie allemande moderne, en particulier pour les débats issus de l’héritage hégélien. Ses recherches l’ont conduit à explorer en profondeur les Jeunes hégéliens, ce cercle de penseurs qui ont bouleversé l’interprétation de Hegel et ouvert de nouvelles voies de réflexion. Parmi eux, la découverte de Max Stirner fut décisive : ce philosophe, souvent relégué à la marge, est devenu pour Arvon une figure-clé, à la fois précurseur de l’existentialisme et référence incontournable pour penser l’anarchisme.
- . Henri Arvon et la redécouverte de Stirner. Dans le paysage intellectuel du XIXᵉ siècle, Max Stirner a longtemps été relégué à l’arrière-plan, marginalisé par les lectures dominantes de Marx et d’Engels qui l’ont trop rapidement étiqueté « prophète de l’anarchisme ». Henri Arvon entreprend de rompre avec cette vision sommaire. Sa lecture critique refuse de réduire Stirner à la caricature dressée par Engels : il restitue la cohérence d’une pensée qui, loin d’un simple slogan individualiste, affirme radicalement la singularité du sujet contre toutes les abstractions, l’État, la société, l’Humanité, susceptibles de se muer en idolâtries. Arvon montre ainsi combien Stirner anticipe des thèmes majeurs de l’existentialisme : la liberté vécue, l’autonomie de la décision, la primauté de la subjectivité concrète. Cette relecture noue un fil direct entre Stirner et une tradition l’anarchisme individualiste, donnant des ressources conceptuelles pour penser un anarchisme attentif à l’auto-affirmation et à la création de soi.
- . Arvon face au marxisme et à l’anarchisme. Henri Arvon met à jour la manière dont Engels a instrumentalisé l’histoire des idées pour servir un agenda polémique, en remodelant a posteriori la généalogie des Jeunes hégéliens et en minimisant le rôle réel de Stirner dans l’inflexion de Marx hors de l’humanisme feuerbachien[1]. Cette « mise en intrigue » a produit une image déformée : Stirner y devient un épouvantail, le « prophète de l’anarchisme », qui justifie la disqualification d’une veine individualiste au sein du mouvement anarchiste. Arvon démonte ces procédés, en rétablissant la chronologie et les enjeux réels des débats, et montre comment cette caricature d’origine marxiste a ensuite biaisé des lectures anarchistes elles-mêmes, reprises sans examen critique. Contre cette lecture réductrice, Arvon réinscrit Stirner dans une constellation plus large, aux côtés de Proudhon, de Bakounine et d’autres, pour faire apparaître l’anarchisme comme une pensée autonome, dotée de ses propres ressources conceptuelles et de lignes de force diverses, plutôt qu’un simple contre-champ du marxisme. Cette recontextualisation redonne sa portée philosophique à l’individualisme stirnérien tout en l’articulant aux autres traditions anarchistes, ouvrant la voie à une compréhension plus fine des relations (et des différends) entre existentialisme, individualisme et anarchisme.
Publications
- 1972, "Bakounine", Paris: Cerf
- 1975, "“Engels’ Feuerbach kritisch beleuchtet'", In: H. Lübbe, H. M. Sass, dir., "Atheismus in der Diskussion: Kontroversen um Ludwig Feuerbach", Munich/Mainz: Chr. Kaiser Matthias Grünewald
- 2012, "Max Stirner: An den Quellen des Existenzialismus", Rangsdorf, Germany: Basilisken Presse (traductioon G. H. Müller)
- ↑ Engels n’a pas seulement raconté l’histoire de la philosophie allemande : il l’a utilisée comme une arme de polémique contre ses adversaires. Au lieu d’une analyse neutre, il a construit un récit orienté, qui soutenait la supériorité du marxisme. Les Jeunes hégéliens (Feuerbach, Stirner, Marx, etc.) débattaient vivement après la mort de Hegel. Engels, plus tard, a présenté cette période comme une suite logique : Hegel → Feuerbach → Marx (et Engels), en minimisant ou en ridiculisant ceux qui ne rentraient pas dans ce chemin. C’est une reconstruction « après coup » (a posteriori), qui donne l’impression que Marx était le point d’arrivée naturel. Au départ, Marx était très influencé par Feuerbach, qui mettait l’accent sur l’« essence humaine ». La confrontation avec Stirner (qui rejetait toute « essence » et prônait l’individu concret) a été un tournant pour Marx, le poussant à dépasser Feuerbach. Mais Engels a réduit ou passé sous silence cette influence de Stirner, car reconnaître son importance aurait donné trop de crédit à une figure associée à l’individualisme anarchiste.