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Raison

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La raison est une faculté d'abstraction et de réflexion de l'esprit humain. Elle est donc la faculté qui permet de fixer des critères de vérité et d'erreur et de mettre en œuvre des moyens en vue d'une fin donnée. Elle permet donc de diriger la volonté.

La raison pour l'École autrichienne

L’assertion selon laquelle l’Homme est un animal économiquement rationnel est source de nombreux malentendus. Pour Ludwig von Mises l'expression « action rationnelle » est un pléonasme et doit être évitée comme telle, comme une expression inappropriée. Car même si elle échoue à atteindre un certain objectif, une action ne reste pas moins rationnelle, elle est toujours raisonnable même si inefficace ou erronée. Mises a montré mieux que tout autre, dans L’Action humaine, que la praxéologie est une science de relations de fait et non une discipline normative. Elle est Wertfreiheit, comme le dit Max Weber. Elle n’étudie pas la légitimité des fins, mais la concordance des moyens avec les fins. Agir, c’est agir consciemment. On écarte donc les réactions et réflexes involontaires. L’Homme qui agit désire fermement substituer un état à un autre, dans l’espoir d’améliorer sa situation. Comment mesurer cette amélioration ? Il n’y aucune autre façon, répond Ludwig von Mises, que de se baser sur les jugements de valeur de l’individu agissant, lesquels varient selon les individus, et, pour un même individu, d’un moment à l’autre.

« Il n'est ni plus ni moins rationnel de tendre à être riche comme Crésus, ou de tendre à la pauvreté comme un moine bouddhiste. », Ludwig von Mises - L'Action Humaine

L’homme choisit toujours, mais n’est pas toujours raisonnable. Simplement, son action est raisonnée, ce qui signifie que, même lorsqu’il cède à une impulsion illégale, ou qui lui causera du tort, il choisit encore : il choisit de céder à son désir. L'axiome de l'action rationnelle est irréfutable.

Ludwig von Mises s'est appuyé sur un concept majeur, fondamental même : la rationalité qui est capable de tout absorber, même l’irrationnel ! En effet, je peux me tromper. Mais mon action reste rationnelle. Je peux même délibérément risquer de me tromper ; je n’en suis pas moins encore rationnel. Quand j’achète un pot de yaourt dans un supermarché, il est rationnel que je ne cherche pas à tout savoir de ce pot, même si le risque d’empoisonnement n’est pas tout à fait nul. C’est ce que Herbert A. Simon a baptisé la « rationalité limitée » (bounded rationality)[1], qui ne remet pas en cause la praxéologie, mais qui au contraire la conforte. Pour les théoriciens de l'École autrichienne, rationnel ne signifie pas ici « conforme à la raison », mais plutôt « motivé par une raison », intentionnel et donc logique. Si on traite telle action d’irrationnelle, il ne peut s’agir que d’un jugement de valeur arbitraire. Comme le dit Philippe Simonnot :

Même si pour démontrer la fausseté de la théorie de l’action rationnelle, on s’efforçait de faire un acte purement irrationnel, cet acte serait encore rationnel puisqu’il serait mis au service d’une fin, la démonstration en question ! En un mot comme en cent : il est absolument impossible de sortir de la rationalité !

Pour Murray Rothbard, cette incertitude consubstantielle à la science économique ne la met pas en péril. Au contraire, c’est la preuve que le critère de scientificité de Karl Popper (une loi scientifique doit être falsifiable, de sorte que l’on puisse vérifier si elle est fausse ou vraie) ne s’applique tout simplement pas à l’économie.

La raison des goûts et préférences

Gary Becker et George Stigler[2], dans le cadre d'une analyse économique sur les préférences ont avancé l'hypothèse que les goûts ne changent pas capricieusement et qu'ils ne différent pas d'une personne à une autre.

Ils ont, entre autres, étudié les effets de l’accoutumance, c'est à dire des produits de consommation qui peuvent entraîner une consommation future encore plus importante. Par exemple le plaisir grandissant qu'éprouve un individu en écoutant de la musique, en accumulant cette expérience l'individu développe le désir de consommer davantage de produits musicaux dans le futur.

Comment expliquer que certains comportements restent stables, alors que les prix changent ? Si on ne veut pas sombrer dans la tautologie de Ludwig von Mises selon lequel le sujet ne peut agir que rationnellement, il faut là encore faire appel à la notion de capital humain : la prise de décision est coûteuse. Pour un sujet qui se trouve face à un changement qu’il perçoit comme temporaire, il est donc rationnel de ne pas réinvestir le capital humain incarné dans du savoir ou dans un métier, et de le ré-investir dans de nouvelles connaissances. D’autant que la recherche d’informations n’est pas gratuite ; elle a un coût. Il en est de même de la publicité ou de la mode.

La rationalité praxéologique

Pour Ludwig von Mises, en revanche, les choses sont plus simples. Si l’homme n’agissait pas rationnellement, alors son comportement serait totalement imprévisible, ce qui le plus souvent n’est pas réaliste. Dans la vie quotidienne, la rationalité économique permet de prévoir grosso modo ce qui va se passer, à condition de ne pas trop demander de précisions chiffrées à propos du fait ou de la date. Comme le disent justement les économistes autrichiens, l’acteur irrationnel ne peut faire long feu, ou ne peut rester longtemps irrationnel, car la faillite ou la famine l’attendent. Mais la science économique n’en reste pas moins une science, car cette dernière ne se définit pas ontologiquement par sa capacité prédictive. La science économique n’a même aucune capacité prédictive, si l’on en croit Rothbard : ses lois sont par nature « qualitatives ». Elles ne peuvent être quantitatives car il est impossible de ne rien tenir comme constant. La formule « toutes choses égales par ailleurs » est un pis-aller qui ne change rien à la nature de la science économique.

Allons un peu plus loin : Guido Hülsmann considère que l’économie est contre-factuelle. Ce qui signifie que les lois économiques concernent non les relations entre des comportements humains et tel ou tel événement observé, mais à l’intérieur même de l’action humaine, entre les parts visibles et invisibles de cette action. Les lois nous permettent donc d’expliquer ce qui existe dans les termes de ce qui aurait pu exister. Cette vision des choses est radicalement nouvelle, et grosse de fructueux développements. Avec des mots plus profanes, on peut dire que l’économie permet aux acteurs de ne pas naviguer complètement à l’aveuglette. En économie tout particulièrement, la rationalité praxéologique est possible. Pour trois raisons :

- la plupart des décisions que l’on prend dans le champ économique sont fréquentes et routinières. Si je fais une erreur, je peux donc la corriger très rapidement.

- en économie, on se sert d’un étalon de mesure, la monnaie, ce qui facilite les comparaisons entre plusieurs produits concurrents, et donc aide à prendre des décisions économiquement rationnelles. Si tout s’échange en monnaie, tout est susceptible d’avoir une sorte de contre-valeur en monnaie. On voit par exemple, que le prix de la vie d’une star de cinéma n’a pas la même valeur que le prix de la vie d’un clochard, malgré les valeurs égalitaires de nos sociétés.

- Enfin, en économie, les décisions prises sont d’une relative simplicité. Au moins en ce qui concerne la vie quotidienne.

Rationalité axiologique

Selon Raymond Boudon[3], « la notion de rationalité axiologique apparaît dans les premières pages d’Économie et société de Max Weber, dans la célèbre typologie qui distingue les actions inspirées respectivement par la rationalité instrumentale, par la rationalité axiologique, par la tradition et par l’affectivité ». Malgré qu'elle soit mal comprise, c'est une notion importante pour comprendre les croyances normatives. Certains commentateurs de Weber ont interprété cette notion comme une conformité des individus aux valeurs, c'est-à-dire que la rationalité serait une adéquation entre les valeurs et les actions des individus. Pour Boudon, Weber distingue bien la rationalité axiologique de la rationalité instrumentale, en tant que formes complémentaires de la rationalité. Weber développe une théorie de la compréhension, signifiant que les actions, les comportements ou croyances ont un fondement, une raison pour les acteurs. Les raisons d'agir sont les causes des actions elles-mêmes.

Ce qui est valable pour les actions est valable aussi pour les croyances scientifiques, morales et religieuses. La cohérence de l'action ne proviendrait pas ici d'une adéquation entre moyens et fins, mais du sens ou raisons données par les individus agissant. Pour Weber, cette « cause » des actions peut avoir plusieurs motifs forts, les actions sont rationnelles en valeur, elles sont distinctes des actions dites instrumentales. Les actions instrumentales ou pragmatiques sont dites des actions où l’individu est supposé agir et croire en fonction de ses propres intérêts. Les actions considérées conséquentialistes sont essentiellement de ce type, c'est-à-dire que les individus agissent en fonction des conséquences sur leur bien-être, de tel ou tel état de choses. Dans ce cas, ils adaptent les moyens aux fins poursuivies, ils agissent dans un but d'efficacité optimale.

Raison et droit

On pourrait penser qu’à l’opposé de l’économie, et de la rationalité économique, se trouvent le droit et la justice des juristes.

Or Philippe Simonnot montre qu’il n’en est rien, et que l’un des domaines dans lesquels la rationalité trouve à s’appliquer au quotidien, c’est le droit. En effet, beaucoup de décisions sont prises comme si elles tenaient compte de l’existence d’un marché et de prix implicites sur ce marché. C’est le cas des sanctions monétaires infligées à ceux qui violent la propriété d’autrui, c’est le cas du traitement des handicapés mentaux, dont le traitement par la société devient autrement moins intégrateur que celui des handicapés physiques, pour la raison que ces derniers sont à présent employables, compte tenu des progrès technologiques, tandis que les premiers ne le sont toujours pas. Enfin, face à la chaîne infinie des causes et des effets d’un litige, le juriste tranche, arrête le contentieux. Quitte à ne pas continuer le jeu sans fin des renvois de notes entre les parties. Ce faisant, comme l’économiste, le juriste est un « ignorant rationnel ».

Annexes

Notes et références

  1. Selon Herbert Simon, le concepteur de l'idée de rationalité limitée, les individus sont globalement rationnels, mais prennent des décisions en fonction d'informations imparfaites et de contraintes de temps.
    Bibliographie sur la rationalité limitée
    • 1996,
      • John Conlisk, "Bounded Rationality and Market Fluctuations", Journal of Economic Behavior & Organization, vol 29, pp233-250
      • Roy Radner, "Bounded Rationality, Indeterminacy, and the Theory of the Firm", Economic Journal, vol 106, pp1360-1373
    • 1997, Robert J. Aumann, "Rationality and Bounded Rationality", Games & Economic Behavior, vol 21, pp2-14
    • 1998, Reinhard Selten, "Features of Experimentally Observed Bounded Rationality", European Economic Review, vol 42, pp413-449
    • 1999, B. E. Kaufman, "Emotional arousal as a source of bounded rationality", Journal of Economic Behaviour and Organization, Vol 38, pp135-144
    • 2000, Roy Radner, "Costly and Bounded Rationality in Individual and Team Decision-Making", Industrial & Corporate Change, Vol 9, pp623-658
    • 2014, T. C. Grüne-Yanoff, C. Marchionni, I. Moscati, "Introduction: methodologies of bounded rationality", Journal of Economic Methodology, Vol 21, n°4, pp325–342
  2. Gary Becker et George Stigler dans un article intitulé « De Gustibus Non Est Disputandum »
  3. Raymond Boudon, La « rationalité axiologique » : une notion essentielle pour l’analyse des phénomènes normatifs, Sociologie et sociétés, 31(1), 103–117, 1999

Bibliographie

  • 1996, John Conlisk, "Why Bounded Rationality", Journal of Economic Literature, Vol 34, n°2, pp669-700
  • 2003, José Francisco Martínez Solano, La predicción económica en la Escuela Austríaca y en las Teorías de la Bounded Rationality, In: Wenceslao J. González Fernández, dir., Racionalidad, historicidad y predicción en Herbert A. Simon, ISBN 84-9745-021-3, pp311-328
  • 2008, G. Gigerenzer, "Rationality for Mortals: How People Cope with Uncertainty", Oxford: New York: Oxford University Press
  • 2011, H. Mercier, D. Sperber, "“Why do humans reason? Arguments for an argumentative theory", Behavioral and Brain Sciences, Vol 34, n°2, pp57–74
  • 2012,
    • Vito Michele Abrusci, "Osservazioni sulla filosofia della logica, alla luce della ricerca avviata con la logica lineare" ("Observations sur la philosophie de la logique, à la lumière des recherches initiées avec une logique linéaire"), In: Raffaele De Mucci, Kurt R. Leube, "Un austriaco in Italia - An Austrian in Italy : festschrift in honour of professor Dario Antiseri", Soveria Mannelli: Rubbettino, pp537-556
    • Evandro Agazzi, "Non esiste un monopolio della razionalità" ("Il n'y a pas de monopole de la rationalité"), In: Raffaele De Mucci, Kurt R. Leube, "Un austriaco in Italia - An Austrian in Italy : festschrift in honour of professor Dario Antiseri", Soveria Mannelli: Rubbettino, pp557-566
    • Gérald Bronner, "Rationalité", In: Mathieu Laine, dir., "Dictionnaire du libéralisme", Paris: Larousse, pp513-514

Voir aussi

Citations

  • Le libéralisme est rationaliste. Il affirme qu'il est possible de convaincre l'immense majorité que la coopération pacifique dans le cadre de la société sert les intérêts bien compris des individus, mieux que la bagarre permanente et la désintégration sociale. Il a pleine confiance en la raison humaine. Peut-être que cet optimisme n'est pas fondé, et que les libéraux se sont trompés. Mais, en ce cas, il n'y a pas d'espoir ouvert dans l'avenir pour l'humanité. (Ludwig von Mises, l'Action humaine, Chapitre VIII)
  • L'agir humain est nécessairement toujours rationnel. Le terme « action rationnelle » est ainsi pléonastique et doit être évité comme tel. Lorsqu'on les applique aux objectifs ultimes d'une action, les termes rationnel et irrationnel sont inappropriés et dénués de sens. La fin ultime de l'action est toujours la satisfaction de quelque désir de l'homme qui agit. Comme personne n'est en mesure de substituer ses propres jugements de valeur à ceux de l'individu agissant, il est vain de porter un jugement sur les buts et volitions de quelqu'un d'autre. Aucun homme n'est compétent pour déclarer que quelque chose rendrait un homme plus heureux ou moins insatisfait. (Ludwig von Mises, l'Action humaine, Chapitre I, "L'homme en action")
  • Qui est contre la raison est contre la vie. (Ayn Rand)
  • La seule définition rigoureuse au plan pratique, empirique et mathématique, que j'aie trouvé de la rationalité est celle de la survie – et de fait, contrairement aux théories modernes élaborées par les soi-disant psychologues, elle correspond aux classiques. Tout ce qui entrave la survie à un niveau individuel, collectif, tribal ou général, est jugé « irrationnel ». (Nassim Nicholas Taleb, Jouer sa peau, 2017)

Liens externes


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