Vous pouvez contribuer simplement à Wikibéral. Pour cela, demandez un compte à adminwiki@liberaux.org. N'hésitez pas !
Constructivisme
Le constructivisme en sciences sociales[1] désigne une forme de pensée et action de nature politique, parfois scientifique, qui fonde son raisonnement dans l'idée que toutes les structures sociales et économiques sont le produit d'un dessein délibéré et qu’il est possible d’édifier la société selon un dessein rationnel préconçu. Cette idéologie s'oppose à l'individualisme qui, selon Friedrich Hayek dans La Route de la servitude, consiste à « reconnaître l'individu comme juge en dernier ressort de ses propres fins, [à] croire que dans la mesure du possible ses propres opinions doivent gouverner ses actes. »[2] Le constructivisme se rapproche à l'inverse de la vision défendue par Karl Marx dans ses Thèses sur Feuerbach : « Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe c'est de le transformer. »[3]
De façon plus générale et plus philosophique, au-delà de toute référence politique, économique, religieuse, scientifique et intellectuelle, le constructivisme consiste à imaginer un système ou une idée de l'esprit et vouloir l'appliquer non seulement sur les personnes et les biens, afin qu'ils se plient précisément à cette idée, mais aussi sur la réalité, de telle sorte que l'on s'imagine la contrôler, et sans en tenir compte.
Les penseurs libéraux ont souligné le danger de cette attitude qui est à l'origine du totalitarisme, quelle que soit la nature que ce totalitarisme puisse prendre. En effet, le contructiviste a, par définition, un esprit monopoleur, puisqu'il veut confisquer tout ce qui n'est pas à lui, et dans son intérêt ; et voulant appliquer sa théorie ou son idée, il fera tout pour plier les individus à ce modèle qui, comme tout modèle, ne peut correspondre à la complexité de la nature humaine.
Principaux théoriciens
La critique de la notion de constructivisme se retrouve principalement chez Friedrich Hayek, théoricien de l'ordre spontané. Le constructivisme qualifie tout régime qui affecte à la société entière un but collectif qui serait réalisé par des moyens politiques, en général associés à une conception scientiste, au nécessaire mépris de l'individu qui doit s'y plier. Pour Hayek, il tire ses origines dans le cartésianisme et dans la pensée de certains philosophes des Lumières qui pensaient pouvoir appréhender les phénomènes sociaux comme les phénomènes physiques[4]. Il fera ultérieurement de l'École Polytechnique la « source de l'orgueil scientiste » qui reproduit ce même schéma[5].
Il a marqué les tout débuts de la révolution russe, et un écho en est évoqué dans la toute dernière scène du film Docteur Jivago. On remarque en particulier que dans les films réalisés à cette période en Russie, il n'est plus question du tout d'aliénation du travailleur par la chaîne de montage. Celui-ci est montré au contraire heureux de ce qu'il produit, et qui a du sens - bien qu'il fasse somme toute la même chose, dans les mêmes conditions, de la même façon et aux mêmes horaires qu'avant la révolution.
Pascal Salin reprend ce vocabulaire de Hayek dans son ouvrage Libéralisme et écrit ainsi :
- « L'attitude constructiviste consiste à penser que l'on peut construire une société selon ses propres vœux, qu'on peut la conduire comme on le ferait d'une quelconque machine. Or, parmi les constructivistes, on peut distinguer des conservateurs qui souhaitent maintenir la société telle qu'elle est, et des réformistes qui souhaitent au contraire la modifier. Il serait par ailleurs erroné de placer nécessairement le conservatisme à droite et de voir des réformistes dans tout socialiste. En effet, dans un système aussi largement collectiviste que le système français, ce sont bien souvent les socialistes qui sont conservateurs, par exemple lorsqu'ils se déclarent en faveur du maintien des avantages acquis, lorsqu'ils luttent pour la défense de la Sécurité sociale ou défendent les services publics à la française. Par opposition, le libéral est, selon les propres termes de Friedrich Hayek, celui qui laisse faire le changement, même si on ne peut pas prévoir où il conduira. Il implique, par conséquent, une confiance dans les capacités des personnes à s'adapter continuellement à des conditions changeantes et toujours imprévisibles. Or, il n'est pas excessif de dire qu'en France, tout au moins dans l'univers politique, pratiquement tout le monde est constructiviste. Selon ses humeurs, ses préjugés, son niveau d'information ou le sens de ses propres intérêts, chacun s'efforcera soit de maintenir ce qui existe, soit au contraire de le modifier d'une manière plus conforme à ses propres souhaits. [...] Il en résulte évidemment une extrême politisation de la vie que traduit fortement le fameux thème « tout est politique ». Or, rien n'est politique par nature, mais tout le devient dès lors que l'approche constructiviste est dominante. »[6]
Constructivisme en politique
Le constructivisme nourrit les bases de la volonté d'organisation du pouvoir politique et la volonté d'organisation sociale par le pouvoir politique.
L'état d'esprit constructiviste se reconnaît par deux critères :
- Une idéologie scientiste : le constructiviste est persuadé que les comportements humains peuvent être modelés selon la même approche que les méthodes scientifiques. Le constructiviste évite, tant qu'il peut, les approches spontanées, trop abstraites ou complexes. La psychologie constructiviste emprunte souvent sa volonté dirigiste à une simplification abusive des comportements humains.
- Un état d'esprit convaincu par la supériorité de la coercition et intervention : l'idée de contrôle et direction prédomine, toutes les solutions sociales doivent être apportées par les grandes organisations, tout doit être réglementé de façon à guider tous les comportements humains.
L'esprit et le mode d'action constructiviste sont bien illustrés par les plans des hommes politiques : peu de place est laissée à la liberté éthique et d'action des individus qui doivent se plier face à la prétention d'omniscience des gouvernements d'État. Celui-ci aura tendance à employer la coercition pour mettre en œuvre son programme constructiviste.
Quasiment tous les courants politiques sont constructivistes : socialisme, communisme, social-démocratie, nationalisme, etc. Voir aussi interventionnisme, capitalisme de connivence.
Pour Pascal Salin (Libéralisme, 2000), il y a trois constantes du discours politique qui sont de source constructiviste :
- l'égalitarisme ;
- l'absolutisme démocratique ;
- le scientisme.
Citations
- « Le constructivisme, c'est l'idée que le monde peut se résumer à une partie de SimCity : qu'il y a un nombre de paramètres limités, que les réactions des agents économiques à vos décisions sont préprogrammées et donc prévisibles, et que vous êtes un dictateur omnipotent et immortel, arrivé là on ne sait comment, mais sachant mieux que les individus concernés ce qui est bien pour eux et ce que leur avenir doit être, et que les individus, justement, ne sont rien d'autre que des pixels qui bougent et que vous pouvez donc diriger à votre guise. » (Turion Lugol)
- « Le seul vrai et grand débat est celui qui doit opposer les défenseurs d'une vision humaniste du libéralisme aux constructivistes de tous partis et de toutes origines intellectuelles. » (Pascal Salin)
- « Rien n'est politique par nature, mais tout le devient dès lors que l'approche constructiviste est dominante. » (Pascal Salin)
- « Le constructivisme repose sur un formidable orgueil intellectuel : pour vouloir modeler la société à sa guise, il faut évidemment supposer à la fois que l’on connaît les objectifs de ses membres - comme si l’infinie diversité de ces objectifs individuels pouvait faire l’objet d’un processus réducteur de synthèse globale - mais aussi que l’on connaît les meilleurs moyens d’y arriver, c’est-à-dire que l’on a une connaissance parfaite des processus d’interactions complexes qui composent une société. [...] Tous ces constructivistes veulent plier la réalité à leurs désirs, par des moyens nécessairement illusoires, puisqu’ils n’ont pas la connaissance, mais seulement la prétention de la connaissance. Aussi, pour poursuivre leurs desseins, mobilisent-ils toutes les théories-alibis de notre époque, toutes celles qui semblent parer leurs actes d’une couverture scientifique. En réalité, cette approche est non pas scientifique, mais scientiste, c’est-à-dire qu'elle prend l’apparence habituelle de la science, par exemple son caractère mathématique, mais elle ne répond pas à ses exigences méthodologiques fondamentales. » (Pascal Salin)
- « L'erreur des législateurs a ses racines dans la croyance erronée que la société est une machine. En fait, la société est un processus de croissance. » (Herbert Spencer)
- « Les prétentions des organisateurs soulèvent une autre question, que je leur ai souvent adressée, et à laquelle, que je sache, ils n'ont jamais répondu. Puisque les tendances naturelles de l'humanité sont assez mauvaises pour qu'on doive lui ôter sa liberté, comment se fait-il que les tendances des organisateurs soient bonnes? Les Législateurs et leurs agents ne font-ils pas partie du genre humain? Se croient-ils pétris d'un autre limon que le reste des hommes? Ils disent que la société, abandonnée à elle-même, court fatalement aux abîmes parce que ses instincts sont pervers. Ils prétendent l'arrêter sur cette pente et lui imprimer une meilleure direction. Ils ont donc reçu du ciel une intelligence et des vertus qui les placent en dehors et au-dessus de l'humanité; qu'ils montrent leurs titres. Ils veulent être bergers, ils veulent que nous soyons troupeau. Cet arrangement présuppose en eux une supériorité de nature, dont nous avons bien le droit de demander la preuve préalable. » (Frédéric Bastiat, La Loi))
- « Pour les chercheurs en sciences sociales il est très pratique de considérer l’homme comme une pâte à modeler susceptible de prendre la forme que l’on voudrait bien lui donner. Cela revient à affirmer la prédominance du groupe social sur l’individu, hypothèse collectiviste en phase avec leurs rêves de transformations radicales de la société. » (Damien Theillier)
Notes et références
- ↑ Ce constructivisme est différent de celui que l'on rencontre en psychologie cognitive où le constructivisme est appelé également constructionnisme
- ↑ Friedrich Hayek, La Route de la servitude, chap. 5, édition Quadrige, p. 49.
- ↑ Karl Marx, Thèses sur Feuerbach, 1845
- ↑ Philippe Nemo, La Société de droit selon F. A. Hayek, PUF, 1988, pages 25 et suivantes
- ↑ La source de l'orgueil scientiste : L'École Polytechnique, Friedrich Hayek
- ↑ Pascal Salin, Libéralisme, Odile Jacob, Paris, 2000, p. 25.
Bibliographie
- 1952, Friedrich Hayek, The Counter-Revolution of Science, ISBN 0913966673
- 1988, Philippe Nemo, La Société de droit selon F. A. Hayek, PUF, 1988, 436 p, ISBN 2130414974
- 1993, Carlo Lottieri, La catallaxie ou la loi de la jungle? La théorie sociale de Hayek et les critiques des constructivistes, Journal des économistes et des études humaines, volume IV, n°1, pp43-64
- 2000, Pascal Salin, Libéralisme, Odile Jacob
- 2011, Simona Fallacco, "Spontaneità, costruttivismo e ordine sociale" ("Spontanéité, constructivisme et ordre social"), Nuova Civiltà Delle Macchine (numéro spécial : Liberalismo e Anarcocapitalismo. La Scuola Austriaca di Economia), janvier-Juin, Anno XXIX, n°1-2, pp181-194
Articles connexes
Liens externes
- (fr)Humanisme et constructivisme, sur Liberpedia
- (fr)« Pourquoi je ne suis pas un conservateur », Friedrich Hayek
- (fr)La source de l'orgueil scientiste : L'École Polytechnique, Friedrich Hayek
- (fr)Libéralisme et constructivisme, retour sur Libéralisme de Pascal Salin et son analyse du constructivisme
- (en) [pdf]F. A. Hayek on Constructivism and Ethics, Journal of Libertarian Studies
Accédez d'un seul coup d’œil au portail philosophie et épistémologie du libéralisme. |
Accédez d'un seul coup d’œil au portail consacré au libéralisme politique. |